Séduite par le premier roman d’Emmanuelle Pirotte, Today we live, j’ai été très contente de la lire de nouveau avec ce cinquiéme roman (et oui, j’en ai loupé quelques uns). Alors que le premier se situait durant la second guerre mondiale, nous sommes maintenant en Belgique à notre époque et auprès de personnages un peu paumé. Une ambiance immersive sur les bords de la mer du nord.

Renaud, dans sa demeure d’Ostende s’ennuie. Il trompe son mal-être avec de vieux amis également paumés. François est un chômeur de longue durée et Brigitte une militante pour les droits des migrants plus investie auprès d’eux qu’auprès de sa propre fille. Il y a aussi Tarik son dealer et Clarisse, sa tante anglaise excentrique vers laquelle il vient se réfugier régulièrement. Enfin il y a Teodora, une jeune salvadorienne au passé violent qui débarque dans sa vie et l’intrigue.

Lorsque enfin il échappait à l’emprise de sa panoplie du parfait homme d’affaires, c’était tout auréolé de gravité stupide. Il donnait l’impression qu’il venait d’empêcher une explosion atomique ou de trouver un vaccin contre le cancer. Il se frottait les yeux et posait son regard loin, prenait des mines compassées et soupirait, afin que l’on se pénètre de l’importance de sa mission, de son labeur acharné destiné à offrir cette vie de luxe et d’oisiveté à ceux dont il avait la charge. En réalité, il avait hérité d’une grosse fortune qui prospérait grâce à une équipe de financiers et d’avocats redoutables. On ne lui demandait pas grand-chose, seulement une signature de temps à autre. Il était quasi inutile au bon fonctionnement de ses affaires, comme son père avant lui, comme Renaud s’il lui survivait.

Rompre les digues entre les êtres, affranchir les barrières de nos conditions sociales ou de nos origines pour tenter de se comprendre. C’est un peu ce que tentent les personnages du nouveau roman d’Emmanuelle Pirotte. Ce sont des écorchés qui n’hésitent pas à sortir des cadres. Les questions des origines sociales ou géographiques n’entravent pas leur relation, c’est leur difficulté à trouver leur place au monde qui les réunis. Le roman parle aussi de solitude et de quête de sens.

Renaud est une sorte de rentier désœuvrée. Il vivote au milieu d’un groupe hétéroclite et sans but. Mais certains événements de sa vie vont le pousser à se questionner, à avancer. Malgré certains aspects sombres, c’est un roman non dénué d’espoir. L’autrice a une forme de tendresse pour ses personnages. Même Renaud, pouvant être exaspérant parfois, reste touchant.

Comme François aimerait se réchauffer à son écran opalescent, à ces couleurs qui subliment tout ! Comme il aimerait se leurrer quelques minutes sur le sens de la vie avec ces photos de gens aux sourires crispés qui arborent leurs cornets de glace, leur nouvelle voiture, leur chat ou leurs enfants avec la même impudeur et la même complaisance puérile ! Oui, Renaud a raison, oui, ces écrans annoncent la fin de l’espèce, mais bon Dieu qu’il est doux de leur livrer son âme , pour un instant seulement.

L’écriture instaure une ambiance mélancolique et intimiste. Le roman n’en est pas pour autant dénué d’humour. L’autrice dissèque de manière fine l’âme de ses personnages et leurs aspirations. Malgré leur caractére marginal, ils sont en prise avec les grands débats de notre temps. La question des migrants revient par exemple régulièrement. Ils sont terriblement humain et crédibles car plein de failles et de contrastes.

Je me suis laissée emporter par ce roman doux et intense, voyageant auprès de personnages atypiques sous le ciel gris et lourd.