Frappabord, c’est le nom donné aux mouches piqueuses au Québec. Insecte avide du sang du bétail, il s’aventure parfois sur les épidermes humains et provoque de vives douleurs. Mireille Gagné nous offre un roman dans lequel le bourdonnement angoissant de cet insecte indésirable ne nous lâche pas. Entomophobes ne prenez pas peur, « Frappabord » est un texte formidable ! 

Trois voix se mêlent, celle d’un frappabord, de Théodore et de Thomas. Le frappabord tourne autour de Théodore, un employé d’usine introverti qui vivote alors qu’une canicule historique fige son pays. Plusieurs décennies plus tôt, l’entomologiste Thomas est envoyé sur une île pour une mission top secrète. La deuxième guerre mondiale déchire l’Europe et il capture des frappabords pour ses expériences. Le lien entre les deux hommes semble aller au-delà du bourdonnement de ces insectes plus rusés qu’il n’y paraît. 

En faisant se répondre les voix animales et humaines, l’autrice offre un roman proche du thriller ou de l’horreur mais sans jamais y plonger. Elle tient une ligne singulière et maîtrisée pour nous raconter des expériences terribles menées sur l’anthrax et la peste pendant la guerre. Progressivement les liens se font, l’intrigue se dénoue et le frappabord devient plus menaçant encore. La narration audacieuse et éminemment romanesque nous aspire, et le lecteur, devenu mouche trop aventureuse, de sentir le piège se refermer. 

Murielle Gagné, à travers la figure de l’insecte, parle des conséquences du dérèglement climatique et du sentiment de toute puissance des hommes. A force d’expériences sur la nature, les êtres humains fabriquent des monstres de plus en plus menaçants. Le bourdonnement du frappabord pourrait bien se révéler fatal. Il y a de la noirceur et de l’angoisse mais aussi beaucoup de poésie. La langue de Mireille Gagné est un vrai régal et s’adapte à ces trois personnages. Il y a par exemple une sensualité surprenante, et un peu dérangeante, qui émane du discours du frappabord. 

Confirmation du talent de Mireille Gagné qui sait si bien nous mener sur des chemins de traverse, là où la nature fait peur autant qu’elle fascine. Bravo pour ce fascinant Frappabord !