J’aime quand la littérature nous raconte notre monde, quand elle éclaire des pans obscurs de notre histoire. Incarner les événements troubles du vingtième siècle par des personnages de papier, n’est ce pas la meilleur des manières dans conserver vive la mémoire ? Peut-être vous êtes vous rendu compte au fil des années de mon intérêt jamais tari pour le Vietnam, sa littérature et le terrible conflit qui l’a meurtri. Babylift m’a permis de découvrir un aspect de cette guerre que j’ignorais et m’a offert une nouvelle immersion littéraire dans ce pays fascinant

Entre le 3 et le 26 avril 1975, le président américain Ford ordonne une vaste opération d’évacuation d’enfants à partir de Saïgon. C’est l’opération Babylift. Trois mille enfants quittent le Vietnam à destination des États-Unis, de la France, de l’Australie ou du Canada. Le but est d’évacuer les enfants métis nés de père GI et les orphelins de guerre en cours d’adoption. L’opération commence par un drame terrible. Le première avion, un Galaxy C-5, s’écrase juste après le décollage. Sur les 330 ,passagers, 150 perdent la vie. Il s’agit surtout d’enfants. Dans la précipitation du départ certains sont emmenés alors qu’ils ne sont pas orphelins. Face à l’angoisse de l’arrivée imminente de l’arme Vietcong, des mères apeurées voient dans cette opération un moyen de sauver leurs enfants. L’opération Babylift est un événement perçu de manière contrastée. Certains y voient une manière pour les américains de s’acheter une bonne conscience au moment de leur départ du Vietnam. On parle aussi de « kidnapping massif » car certains n’étaient pas orphelins. Les familles adoptantes y voient au contraire une opération héroïque qui à sauvé des milliers d’enfants.

C’est histoire, peu connue, constitue le centre de l’intrigue du roman de Marie Bardet. Sean et May, deux jumeaux métisses, sont adoptés par deux sœurs vivant dans un petit village français. A 17 ans, Sean est accusé d’un terrible meurtre et prend la fuite. Pour le défendre, son avocat fouille les circonstances de son adoption et déterre un passé trouble. De son coté, May part au Vietnam pour y chercher la vérité sur leurs origines.

Au Vietnam, il y a eu des viols, et les métis nés de ces viols, quelle que fut leur couleur de peau, étaient sans doute légion. Comme dans toute guerre, on ne pouvait écarter cette hypothèse. Et après la guerre, est-ce que ça n’était pas encore la guerre dans le corps des femmes ?

Est-ce qu’un bébé qui a connu l’horreur peut devenir un adolescent serein ? Est-ce que les sévices connus dans les premiers mois peuvent être réparer ? Dans leurs premiers mois de vie Sean et May connaissent le pire. C’est une blessure profonde sur laquelle ils ne peuvent pas poser de mots. Il grandissent avec cette douleur et lorsqu’ils entrent dans l’adolescence, elle explose. L’absence de racines devient souffrance. Sean entre dans une phase autodestructrice et May se débat avec l’amour trop puissant que son frère lui porte.

Le voyage de May au Vietnam est emprunt de nostalgie et de tendresse. L’autrice, qui a elle-même visité les lieux qu’elle décrit, nous raconte le pays de manière immersive. Les odeurs et les couleurs des rues de Saïgon, devenue Ho Chi Ming-Ville, ou des Hauts-plateaux affluent et nous envoûtent. On sent l’admiration que porte de Marie Bardet pour le pays. Nous découvrons un pays qui s’ouvre progressivement aux étrangers et qui porte ses blessures à vif.

Toute proche maintenant, la jetée fait saillie dans la rivière. La traversée touche à sa fin, mais n’est-ce pas plutôt un commencement ? Un désir douloureux, lancinant, la pousse vers ce bras rond qui frôle le sien. Comment dit-on « maman » en vietnamien ? Le fleuve exhale une haleine lourde. »Ma » répond l’écho.

Le roman met en lumière un événement terrible de l’histoire du Vietnam qui eut des répercutions en Occident. La débâcle de l’armée américaine angoisse tout le monde et les opérations d’évacuations se font dans le chaos. Les enfants, le plupart du temps tous petits, embarquent dans des avions militaires pas du tout adaptés à leur jeune âge. Les avions décollent dans les pleures des nourrissons consolés par trop peu de nourrices. L’autrice nous raconte cela de manière saisissante et nous lisons ces pages le ventre noué. Elle relate un événement qui a eu très peu d’écho en France et contribue à restaurer une mémoire. Fruit de nombreux recherches et lectures, ce roman offre un mausolée aux victimes.

J’ai trouvé ce livre poignant par son sujet mais aussi par son traitement. Sean et May sont les victime collatérales de choix politiques et de décisions prises dans l’urgence. Même près de vingt ans après une guerre qu’ils n’ont pas connus, ils en portent les stigmates. On sort de cette histoire ému et révolté.

Un grand merci aux éditions Emmanuelle Collas et à Estelle Roche pour leur confiance. Au fil des livres cette maison d’éditions prend de plus en plus de place dans mon cœur.