Le chemin de l’exil et la douleur du déracinement nous ont souvent été contés. Thématiques qui me bouleversent, je suis sans cesse en quête de ces récits-là. « Tu mérites un pays » nous raconte l’après, ce moment où la perspective de la naturalisation se dessine, où le Graal semble à portée de main. J’ai eu un gros coup de cœur pour ce roman qui ne cesse d’œuvrer en moi depuis que je l’ai refermé.

Layla vient de recevoir une convocation afin d’être naturalisée française. Elle qui vit dans un hôtel insalubre en compagnie d’autres compagnes d’infortunes, cette perspective devrait la réjouir. La fin d’un parcours compliqué semble se dessiner, la porte s’ouvre vers une vie nouvelle. Mais peut-on encore croire au bonheur quand on a tout quitté pour survivre ? Qu’on vivote avec un travail de femme de ménage et qu’on côtoie quotidiennement l’humiliation et le racisme ? Pour être accueillie dans son nouveau pays, celui-ci exige d’elle un prix très élevé. Il attend qu’elle renonce à sa langue, sa culture et son histoire pour en embrasser de nouvelles. Est-ce une demande réaliste, une exigence susceptible de rendre réellement plus heureux ? Cette nouvelle nationalité la rendra-t-elle égale aux yeux de tous ?

Je trouvais ça dommage que la France ne me connaisse pas en arabe car je me trouvais bien plus intelligente en arabe qu’en français.

Avec un ton empreint d’une fausse naïveté, l’autrice nous raconte le parcours ardu d’une exilée, les combats intérieurs qu’elle doit mener et les renoncements qu’on attend d’elle. Elle questionne la notion d’intégration, la manière dont la France accepte ou non certains exilés. Une barbe trop longue, un mot en arabe qui échappe et le regard change, les perspectives se restreignent. Layla doit se faire adopter d’un pays qui ne veut pas d’elle, d’un pays bourré de préjugés à l’égard des siens. On attend d’elle qu’elle se fonde le plus possible dans le paysage, qu’elle ne présente aucune aspérité à une norme fantasmée. L’humour noir de l’autrice traduit sa colère face à des situations de discrimination et de racisme.

C’est comme ça que j’avais appris que, si en France l’habit ne faisait pas le moine, la barbe faisait l’ennemi

Au fil du récit Layla prend conscience de ce qu’exige la France d’elle, elle mesure l’absurdité de certaines situations. Elle découvre aussi les discriminations envers les musulmans français ou les sans-abris. Son regard décalé pointe l’absurdité des situations administratives et la violence de certaines injonctions. Mais au cœur des hôtels lugubres, auprès de ceux qui n’ont désormais que la rue pour maison, se tient aussi la lumière et la beauté. Dans cette lutte pour sauver sa vie et sa dignité née l’entraide, l’amitié et la poésie aussi. Avec la narratrice, nous vivons des moment de profonde révolte comme des instants de beauté.

J’ai trouvé ce livre d’une très grande intelligence. Avec style, l’autrice nous invite à regarder en face les violences que notre pays réserve aux migrants. Entre choix impossibles, méfiance ou carrément racisme, la naturalisation a un coût très élevé et probablement un goût amer. Pas un énième roman sur l’exil, un texte nécessaire pour réfléchir à l’accueil dans un pays qui se targue de valeurs humanistes.

Je pense que, dans la vie, il y a des choses qui ne devraient jamais avoir à se réclamer. Si je devais n’en citer que quelques-unes, je dirais l’amour, un corps, un logement. Un pays.

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