Voici une de ces fulgurances littéraires qui vous cueille, vous emporte et vous laisse ensuite exsangue. Un de ces textes qui vous immerge avec force dans un ailleurs ou dans une époque différentes et vous fait ressentir physiquement son propos. Anna Thalberg, héroïne martyre d’une époque obsédée par le diable, devient porte parole de toutes celles que le bûcher à consumée, crie qui résonne à travers les ages.

Le roman commence par une arrestation brutale et imprévisible. Anna prépare le repas pour son mari et elle quand des hommes surgissent et l’emportent. Son crime : la sorcellerie. Les preuves : des rumeurs de voisinage et la médisance de femmes jalouses. Elle est emmenée dans la prison de Wurtzbourg où elle tient tête à son inquisiteur. Les efforts de son mari et du curé du village pour la sauver sont vains face à la folie meurtrière qui s’est emparé de la région. Entre le XVIème et le XVIIème siècle la chasse au sorcière est à son paroxysme dans le sud de l’Allemagne. Anna subit la question et le feu, Anna est le symbole de ces femmes persécutées par des religieux aveuglés de haine et de peur.

En 150 pages l’auteur réussit le tour de force de mêler les voix des personnages, les préoccupations des différentes parties de ce procès. Par un travaille styliste innovant, jouant avec la forme même du texte, il nous place au centre des discutions et fait résonner des voix incapables de se comprendre. Tous semblent parler à des murs, personne ne s’écoute. Le soupçon gangrène les ames, le mal semble partout. Au centre, Anna endure, souffre et meurt.

La lecture nous éprouve, nous tord le ventre, nous coupe le souffle mais le style ainsi que la construction du récit viennent apporter de la beauté dans l’obscurité humide du cachot d’Anna. La torture, bien que présente, n’est pas le cœur du récit. L’auteur s’attarde plus sur la voix de chacun, sur les errances spirituelles des personnages. Les choses sont dites, l’auteur n’atténue rien mais ne se complet non plus jamais dans la souffrance et dans les services physiques. Il parvient à donner à voir cette période sombre de notre histoire, cette période d’obscurantisme où la peur de l’enfer transformait les religieux en Satan lui-même. Cruel paradoxe de tenter d’exorciser le mal par un mal encore plus grand. En mêlant intimement, dans le corps du texte même, les voix des différents protagonistes, il nous offre une clé de compréhension d’une histoire qui hante douloureusement nos imaginaires.

Tant sur le fond que sur la forme Anna Thalberg, traduit par Marianne Millon, est un chef-d’œuvre. J’ai été éblouie par l’écriture comme par la figure d’Anna. Tombeau pour les femmes brûlées au nom d’un dieu, cri de colère d’une injustice terrible, ce roman un uppercut littéraire aussi sublime que effroyable.