J’avais une tendresse particulière pour les éditions Bellevilles donc c’est tout naturellement que j’ai suivi leur nouvelle aventure, celle des éditions Tropismes. La première publication, Je ne suis pas un roman, tient toutes ses promesses et surprend tant par sa forme que par son sujet.

En Iran, pour être publié un texte doit passer par un comité de lecture. La censure est féroce et bon nombre de publications sont refusées pour des motifs inexpliqués. Le roman commence avec la visite d’un éditeur et de son autrice au bureau de la censure. Ils viennent y chercher des réponses. L’auteur repart sans réponse et l’autrice se retrouve piégée dans la salle des manuscrits refusés. À partir de là des histoires se tissent et se nouent autour de cette question des romans empêchés d’exister.

Nasim Vahabi ne cite jamais le nom de l’Iran dans son livre. L’histoire pourrait se passer dans n’importe quel pays où existe la censure. Néanmoins, nous ne pouvons nous empêcher de penser au pays natal de l’autrice en lisant ce livre. L’Iran impose en effet un contrôle strict des publications. Le poids de la censure pèse sur chacun des personnages. Jusqu’à dans leurs échanges personnelles ils se méfient de ce qui peut être lu. Liés entre-eux par des hasards de l’existence, ils le sont aussi par le lien qu’ils ont avec les manuscrits et leur censure. L’éditeur développe des stratégies pour tenter de la contourner et s’épuise. Les auteurs doivent se résoudre à fuir, qui a perdu un peu de leur identité et donc de leur art.

Ils te poussent à t’exiler de ton pays. Avec la distance, ils font croire à tes proches que tu les as oubliés et ainsi tu te sens de plus en plus loin de tes liens. Après, ce sera au tour de ton histoire, de laquelle ils vont t’éloigner. Tu deviens l’enfant illégitime de ton pays, qui t’aimera toujours, mais comme une mère impuissante à défendre son gamin maltraité ; car aimer sans pouvoir défendre, c’est un amour handicapé et stérile. Ainsi, ils te déportent de ton passé. Et finalement, quand tu es bien désarmé et désemparé, l’exil t’adopte.

La construction de ce court roman surprend. L’autrice joue habilement avec son lecteur en nous offrant plusieurs versions d’une même histoire. Elle nous offre une vision juste et effrayante de ce que fait la censure sur les gens et notamment les artistes. Par des procédés narratifs innovants, comme une série de SMS lu de manière antéchronologique, elle enchâsse plusieurs points de vues. Probablement plus percutant que ne le serai un essai sur le sujet, Je ne suis pas un roman fait de la condamnation de la censure une cause vibrante. L’autrice manie l’humour et l’émotion avec justesse, ce texte se lit en un souffle tant il nous happe.

Par son propos forts et ses effets narratifs saisissants, Nasim Vahabi nous propose un roman qui montre l’importance de la liberté créative pour une société toute entière.